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Claudiogène
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17 janvier 2007

La maîtresse de son fils était aussi la sienne (nouvelle)

La maîtresse de son fils était aussi la sienne.

Ils s’étaient rencontrés dans un supermarché au rayon des fournitures scolaires. C’était vers la fin août et le temps n’était pas le seul à être lourd.

Abruti par l’excitation de la marmaille à la recherche des outils ou cartables « vus à la télé » et agacé par la nervosité des parents, enfin, des mères, les pères étaient, là aussi, absents, Pierre allait jeter l’éponge quand… tout à coup, au bout du rayon, un soleil apparut.

Une Soleille, devrait-on dire, la rosée, la fraîcheur, la source, la Nativité, l’écume, la pureté, la vie, la, la la la et puis la… là.

Bouche bée, souffle soufflé, regard hagard, figure figée, corps mort, Pierre était pétrifié.

Petite robe d’été imprimée de fleurs, odorantes sans doute, vivantes certainement, paradisiaques à coup sûr ; A l’intérieur, Ondine, Blandine, Eve, Vénus, Juliette, Françoise, Simone, Virginie, Manon, Chloé et bien d’autres.

Digne d’un spot publicitaire pour un yaourt allégé, elle était la santé, la gaité, la joie, la vie, la jeunesse, la perfection, la clarté, la lumière, tous les féminins du dictionnaire.

Coup de foudre. Coup à fondre. Le scirocco remplaça la clim : Chaleur étouffante. Plus d’air. L’arrêt sur image. Suffocation. Accident cardiaque imminent.

- Papa, papa. Mais, papa réponds-moi, répétait Thomas en tirant sur la poche du pantalon de son père.

Mais, Papa n’était plus là. Son esprit, comme disait Brassens, s’était mis à battre la campagne, la campagne fleurie du Soleil qui poussait un caddie.

Pierre se vit garde-champêtre et dut aller chercher des ressources que personne ne peut imaginer pour ne pas courir et envelopper, protéger, enlacer, embrasser, cette nature de la Nature, définitivement, de cette fin d’été jusqu’à la fin des temps.

Tout s’arrêta donc.

Puis, tout redémarra, dans une autre dimension. Le temps n’était plus le temps. Le supermarché n’était plus que plage, verdure, chemin de grande randonnée.

Pierre, les pieds sur terre, DEVAIT a-ssu-rer. Il en allait de son image de père. Dégoulinant de sueur, il DEVAIT, Thomas n’attendait que cela, choisir un cartable pour son fils.

Devoir, devoir, toujours devoir. Après ce qu’il venait de voir, le monde était injuste.

A bout de forces, anémié, il parvint à dire :

-  Choisis celui que tu veux, mon garçon.

Ce fut fait. Les voilà partis vers la caisse et Pierre crut mourir. Il ne savait que faire. Il s’arrêta instinctivement derrière la plus longue queue pensant, peut-être, qu’ainsi, il aurait plus de chances d’être à nouveau face à cette divine émotion. Mais, Thomas l’entraîna, logiquement, vers une caisse réservée aux « moins de 10 articles ». Il ne pouvait résister, il se laissait guider par un gamin de six ans. Incapable de la moindre réaction, tous ses gestes étaient faits machinalement, automatiquement. Robot, mort-vivant, légume, Pierre était anéanti.

La jungle du supermarché, en deux minutes, lui avait offert, la plus resplendissante des offrandes possibles sur terre et ailleurs, et l’avait vidé, cassé, éteint.

Le dîner ne passa pas. La nuit non plus. Aussi blanche que Pierre. Aussi marquée que lui. Sur son agenda, il écrivit : Nuit du 25 août 2003 : Marquée de Pierre blanche.

Jeudi 04 septembre 2003 : Rentrée scolaire pour Thomas. Rentrée solaire pour Pierre.

Michèle accompagna son fils, Thomas pour son premier jour à la « grande école ».
Ce qui est un bonheur pour tant de mères était une corvée pour elle, mais, Pierre avait tellement insisté qu’elle se dit, qu’une fois par an, après tout…
Elle arriverait en retard dans son agence bancaire et aurait l’impression d’avoir perdu le pouvoir sur ses employés.

Michèle était de ces femmes carriéristes qui, plongées dans leur travail, en oubliaient de vivre, en oubliaient homme et enfants. Elle était « chef » partout, au bureau, à la maison, à la boulangerie, dans la circulation. Elle ne demandait jamais rien, elle exigeait. Sa dernière émotion remontait au krach boursier de 1992 ; son dernier attendrissement avait l’âge de son fils et son dernier sourire, autre que commercial, avait quitté toutes les mémoires.

Réussite professionnelle incontestable, intelligence stratégique indéniable, efficacité, rigueur, tout cela la rendait de moins en moins humaine et de moins en moins aimable.
Alors, comment l’aimer ?

Pierre, à bout d’arguments et de patience, était disponible pour un lendemain chantant. Il avait tout essayé, mais, tête baissée, les yeux fixés sur ses objectifs et sur le Dow Jones, Michèle n’écoutait pas. Aucune mauvaise volonté de sa part, c’était sa nature, elle ne savait pas écouter. Elle était comme droguée, ensorcelée, et ne s’embarassait d’aucune nuance, d’aucune réflexion. La moindre remise en question aurait fait s’écrouler l’échafaudage de sa vie.

Bien entendu, Pierre avait bien compris que cette attitude, cette course en avant, cachait, sans doute, autre chose de plus profond, un manque, un doute, une blessure, mais, il n’était jamais parvenu à dialoguer vraiment avec Miss Banque…

Miss Banque, en fin de compte, n’assurait vraiment, que le virement de fin de mois, conséquent, certes et bien utile, pour le pavillon de banlieue, le monospace, les sports d’hiver, le frigo et l’achat de SICAV, mais, le reste, TOUT le RESTE, incombait à Pierre : l’intendance, les histoires du soir, les câlins, les chagrins de Thomas, les courses, le ménage, la pelouse, les prises de conscience, la recherche de solutions, … l’achat du cartable de CP…

Ce jour-là, Miss Banque devait accompagner Thomas. De fait, elle le « balança » et courut retrouver son monde de courbes et de courbettes, d’actions et d’obligations.

Pierre était chargé de « récupérer » son fils à 16h30 : Arrivé au seuil de la clas_se de CP A, il se présenta : 

- Monsieur Blanche, je suis le papa de Thomas.

- Ah ! Je vais chercher votre fils, mais, la maîtresse voudrait vous voir à cause du cartable, répondit la jeune fille, assistante, emploi-jeune, de l’institutrice, en fait, « professeur des écoles ».

« A cause du cartable… » Qu’avait-il donc ce cartable ?

Pierre attendit devant la clas_se en tournant un peu sur lui-même, pour mieux réfléchir et calmer son impatience de revoir son fils après cette première journée.

- Monsieur Blanche ?

Pendant le quart de seconde nécessaire pour se retourner, il fut transporté par la douceur de cette voix. « Monsieur Blanche » devenait un tunnel d’ouate qui menait au paradis, musique envoutante, lumière éclatante et pourtant pacifique, chaleur et gaité, champagne et chantilly.

Il avait déjà connu cette émotion quelques jours auparavant…

Soleille – Supermarché – Robe champêtre – Grand tourbillon dans la tête.

Demi-tour. Tin – Tin – Tin – Tininin.

- Monsieur Blanche ?

-

- Mademoiselle Quetar, je suis l’institutrice de votre fils.

- En-Enchanté.

- Je voulais juste vous dire : Pour le cartable, il est beaucoup trop petit. Il faudrait qu’un cahier grand format puisse y tenir.

- Bien, bien… je ferai le nécessaire, Mademoiselle.

- Merci, au revoir monsieur.

- Au au revoir.

- Papa, papa, je suis là. La poche du pantalon était de nouveau tirée vers le bas.

Pierre prit Thomas dans ses bras et l’embrassa. Pendant qu’il le serrait contre lui, il vit sur la porte de la salle de clas_se :

Mlle Blanche QUETAR
CP
A


Elle se prénommait Blanche comme le patronyme de Pierre et de Thomas. Le plus cartésien d’entre nous, y aurait vu un signe du ciel,… alors, les dés étaient jetés, un jour Blanche se nommerait Blanche. Pierre le savait. Pierre le voulait.
Il fallait bien que quelqu’un se dévoue pour la débarrasser d’un nom aussi peu poétique.

Comme à chaque fois qu’il entendait ou lisait un nom, il se demanda quel genre de quolibet, elle avait dû supporter dans son enfance.
Les mêmes que lui sans doute : Blanche-Neige et Blanche à repasser.
Mais, d’autres aussi : Quetar le têtard et Quetar électrique.
Mais, ces réflexions ne lui venaient que pour le faire tenir debout, marcher, aller jusqu’à la voiture.
Et il chantonnait Leny Escudero : « … je sais que je tiendrai parce qu’il faut que je tienne… ». DEVOIR, DEVOIR.

Retour à la maison. Fièvre. Dodo. Refièvre. Debout. Couché. Debout. Assis…
Le trouble était tel que Thomas prit les choses en mains et organisa tout, du goûter jusqu’au dîner. Son père exécutait.

Lorsque Michèle rentra, elle fit remarquer que les clés étaient restées sur la porte, à l’extérieur et plus tard, qu’ils dînaient sans pain, mais, elle ne chercha pas plus loin.

Demain, Thomas retournera en clas_se avec son tout petit cartable.

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Commentaires
C
Disons qu'elle était amenée à le devenir mais le stylo a manqué d'inspiration et de courage. Alors, maintenant ce serait du réchauffé.<br /> Mais, si quelqu'un(e) veut se coller à la suite je suis preneur. Ce serait drôle.
M
Très jolie histoire... la rencontre. Mais c'est vrai que cette maîtresse là n'était pas encore la sienne ! L'est-elle devenue ?
D
:-)
L
Lecture vraiment trés agréable...qui donne envie de savoir... comment aller plus loin. le texte dont la longueur , sur blog, est souvent redhibitoire, coule ici avec humour jusqu'à la fin. Un bon moment passé ici.
L
Bonne nouvelle, Claudiogène.<br /> <br /> Je ne la commenterai pas maintenant, je l'ai lue trop vite. Sans doute un réflexe de mauvaise vie commun aux blogueurs. Justement : je souhaite ici simplement témoigner d'un sentiment rare, inattendu, qui m'a saisi tout au long de ma lecture trop rapide. Le même sentiment qu'on a des heures comme des soixantaines de pages pour maîtriser celui de la lecture d'un texte d'écrivain.<br /> <br /> Ca peut être pris comme tel mais ce n'est pas un compliment. J'associe trop la lecture et l'écriture à une certaine forme de douleur. Mais peut-être n'est-ce qu'une angoisse.<br /> <br /> <br /> PS : samedi matin, 10 à 9 heures, même mer même plage ?
Claudiogène
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