Manifestation d'humeurs 2/2
- Déshabillons-nous, proposa-t-il.
- …
- Lunettes cerclées dites « de Prof », cadeau de la
CMU. Dents blanches soignées CMU. Echarpe rouge, souvenir d’un passé plus rebelle, griffée
Quechua...
- Comme mes chaussures ! dit-elle d'un ton guilleret en se mordant la langue.
- …
- Heu… pardon.
- Chemise faite maison.
- Ca veut dire quoi « faite maison »
- Faite maison.
- Slip ou caleçon H et M en soldes.
- Slip ou caleçon ?
- Madame suit. Bravo. Je commence à avoir froid. Je vais
m’arrêter là.
- Dommage ! (Et voilà qu'elle se remord la langue)
- Je m’appelle Pierre Blanche, chômeur en fin de droits.
- Ah ! Pardon. Je ne pouvais pas savoir.
- Je n’ai pas dit cancéreux en phase terminale, j’ai dit
chômeur en fin de droits, Madame. Madame ?
- Heu… Madame… heu… Madame Armelle… heu… Armelle.
- Armelle ?
- Armelle, professeur des écoles.
- Ah ! Pardon. Je ne pouvais pas savoir... Je plaisante, je plaisante.
L’irruption d’une horde de supporters du SNES brisa le
charme des présentations. Cette prometteuse conversation subit le couperet de
la bêtise.
Une espèce d’animal bipède doté de parole tenant de la main
gauche une banderole enroulée autour d’un piquet et de la droite une bombe
aérosol surmontée d’un cornet, s’approcha du couple.
- Bah, Mè-Mèlle, on t’cherche partout. Qu’est-ce tu
fous ? Viens en terrasse, on va s’en griller une.
(Puis, plus bas, pour les collègues de lutte et de c.lasse)
- Mais qu’est-ce qu’elle fout avec ce pédé ?
Le « pédé » pensa que cette histoire ferait bien
rire sa femme le soir venu et qu’il est scélérat de confier l’éducation de nos
enfants à des abrutis qui appuient sur des bombes à cornet. Mais c’est une
autre histoire.
Pierre paya les consommations et se boucha le nez en
traversant la terrasse enfumée. Il se surprit à, aussi, serrer les fesses.
Allez savoir pourquoi.
Sur le trottoir vide et sale, il pensa que cette femme
méritait mieux que cette vie-là.
Elle pensa que cet homme méritait mieux que chômeur en fin
de droits.
Fin