La base américaine
La guerre était finie depuis près de vingt ans. Plus de soldats
allemands à l’horizon, mais, l’armée américaine était omniprésente.
Nous habitions à quelques kilomètres de la base militaire
américaine de Rocquencourt, Seine-et-Oise. Notre village, au bord de la Forêt de Marly-le Roi respirait bon la
nature, mais, avec deux poumons bien différents.
D’un côté, le golf de réputation internationale fournissait
prestige à la commune et emplois aux travailleurs émigrés ; de l’autre, la
base américaine alimentait les services scolaires et sociaux et souvent les
conversations.
Le temps m’apprit que le ciment rendait plus droit et plus
honnête que le cambouis.
Combien de fois ai-je vu mes compatriotes, oncles parfois,
entre deux tournées, faire une pause siphonage de réservoir du car. Quelques
bribes de conversations me laissaient imaginer des trafics en tous genres qui délestaient les magasins
de la base et construisaient la réputation de voleurs des macaronis.
Mon père pestait contre ses « mula fuerbici », littéralement rémouleur, mais employé comme arracheur de
dents, magouilleur et tricheur, qui donnaient une image aussi détestable du
courageux travailleur transalpin.
L’été, nous devions apporter en c.lasse un morceau de pain
déjà tranché mais vide. Au goûter, la maîtresse sortait une énorme boite de
conserve et remplissait notre casse-croûte de gelée de fruits d’outre-atlantique que nous appelions, à tort,
marmelade.
L’hiver, c’était le bol vide que nous mettions dans le
cartable. Plus tard, le chocolat chaud et américain y faisait une halte avant
de réchauffer nos estomacs.
Ainsi, la base militaire américaine remplaçait la Caisse des Ecoles.
L’expression « C’était l’Amérique » a été inventée
là, pour nous. A Noël, nous découvrions les corn-flakes, inconnus alors dans le
commerce. Du coca-cola ? Je ne crois pas, je ne m’en souviens pas ;
seules les capsules des bouteilles servaient à nos jeux. Enfants de pauvres ou pas, nous avions un
colis rempli d’objets divers et surtout inconnus de tous. Le plus étrange,
celui que nous retrouverons plus tard en regardant « Le jour le plus
long », est ce bout de métal qui fait clic-clac lorsqu’on le presse avec
le pouce, un criquet ; il servait de signal de reconnaissance aux soldats.
Son bruit nous amusait beaucoup mais jamais nous n’aurions osé le déclencher en
cours. C’eût été le bonnet d’âne assuré ; et dans la cour des filles, s’il-vous-plaît.
Nos parents raffolaient du corned-beef et nous des
chewing-gums.
Un jour, la base américaine* ferma et nos goûters changèrent
de saveur.
L’Institut de recherche Informatique qui s’installa dans les locaux ne
nous était d’aucune utilité.
Renseignements pris, il s'agissait du Quartier Général de l'OTAN en Europe.