L'Historien peut-il être objectif ?
Peu de temps pour un article, alors, je vous livre un copié-collé du devoir de philo de mon fils (avec son autorisation) je vous dirai sa note la semaine prochaine.
Lorsque
l’Homme s’étudie lui-même, il pratique les sciences humaines. La sociologie,
par exemple, pose déjà le problème de l’objectivité en opposant deux
théories : . L’Histoire avec un grand H étant avant tout une
succession d’histoires avec un petit h. Les sciences humaines en général
posent le problème de l’objectivité de l’observation et de l’analyse. Nous
allons nous intéresser plus particulièrement à l’Histoire. Et au-delà de
l’objectivité de l’historien, c’est la transmission de l’Histoire qui est le
point de divergence central :
« L’Histoire peut-elle être transmise
objectivement ? »
Une
première partie soutiendra que le travail de l’historien est basé sur
l’objectivité et est en ce sens un succès. Une seconde partie traitera des
différents points que nous pouvons avancer pour prouver que l’Histoire ne peut
être transmise dans une totale objectivité
Les
valeurs de l’historien sont de retransmettre les faits sans en négliger et sans
les manipuler. Mais les institutions décident en grande partie de ce qui sera
transmis et ce qui ne le sera pas, à travers l’éducation nationale. Le choix
politique est donc déterminant pour ce qui est de la simple transmission. Mais
la curiosité et l’autodidactisme sont les preuves que la capacité de
transmission objective est là. On va chercher l’information où l’on veut, quand
on le veut, à l’heure d’internet et de la mondialisation. Les historiens
peuvent donc voir l’impact du filtre politique diminuer à mesure du temps qui
passe.
Le
pouvoir judiciaire a lui aussi un rôle à jouer, mais il va conforter les
historiens dans leur rôle objectif en leur faisant prêter serment lors de
procès historiques. On fait davantage confiance à un historien qui a
étudier une période de l’Histoire dans son ensemble en pesant sagement le pou
et le contre, en analysant tous les points et en appréhendant les réactions de
la défense et des parties civiles. C’est pour la justice un gage de qualité et
d’objectivité.
Les
historiens sont réputés, à juste titre, intègres. En effet, de nos jours, tout
homme bien pensant a un avis marqué sur tout ; dans nos sociétés où chacun
va accrocher une étiquette politique à un litige ou une décision
quelconque ; chez nous, aujourd’hui, l’on se revendique de droite ou de
gauche selon ne serait-ce que le lieu où nous faisons nos courses ;
l’historien reste objectif, en retrait observant, presque en narrateur
omniscient. L’historien n’est d’aucune tendance politique convenue et garde
un regard neuf sur les choses passées. Selon Fénelon, « Le bon
historien n’est d’aucun temps ni d’aucun pays ». Là où la politique
politicienne peut accuser ceux du camp d’en face d’avoir écrit les pages
noires de notre Histoire, l’historien reste en dehors de tout cela.
Comment
fait-il pour ne point se faire influencer par son entourage
spatio-temporel ? Michelet avait décidé de rester enfermé chez lui. Moins
radical : se baser sur ce que l’on appelle des documents. Ce sont
des témoignages, recoupés par la critique de l’historien, ou des vestiges pour
ce qui est de l’ordre de l’archéologie. Des témoignages filtrés par la critique
dite interne pour éliminer des passages éventuellement interpolés à
travers l’Histoire. Preuve que même si l’Histoire se transmet parfois avec des
erreurs, un bon historien peut la remettre en place et rétablir la vérité des
faits. L’Histoire peut alors être transmise efficacement, objectivement.
Au-delà
de quelques querelles intestines qui restent marginales, les historiens
travaillant plutôt individuellement sont généralement en accord lorsqu’ils
observent les travaux de leurs collègues ou lorsqu’ils les mettent en commun.
Chaque historien apporte en fait sa pierre à l’édifice, réunissant de nouveaux
document et y apportant de nouvelles analyses. Globalement, les historiens,
chacun d’eux étant objectif, s’accordent sur la plupart des événements de
l’histoire. On peut parler d’un consensus.
Le
terme convention prêterait davantage à dérapage puisque cela nous amène
sur le terrain glissant de la vérité officielle, qui cache dans son
sillage un terme qui fait froid dans le dos : le négationnisme.
En
effet, la vérité officielle marginalise le négationnisme, ce qui le radicalise.
Alors que le négationnisme devrait aller de soi, s’il n’était pas attaché à une
haine plus profonde teintée de xénophobie et de néo-nazisme. Sans justifier ce
négationnisme haineux, nous ne pouvons aller contre le fait que la notion de
vérité officielle nuit à l’Histoire. Ce n’est pas ce qui est imprimé sur les
manuels mais dans les mémoires qui importe. D’ailleurs les historiens donnent
aux manuels d’Histoire ce qui leur semble le plus important, et il y a des
divergences en ce qui concerne l’importance relative d’éléments de l’histoire.
Exemple : l’invention de la quinine, simple molécule ayant un goût amer
dans une boisson pour certains, remède au paludisme pour d’autres. Et à cette
discorde tout à fait subjective, s’ajoute les choix politiques
d’éducation : laquelle des versions officielles de notre Histoire va-t-on
enseigner à nos bambins ? C’est là que l’intervention politico-juridique
va trop loin. En privilégiant un aspect de l’Histoire plutôt qu’un autre, la
politique influe sur le juridique qui sanctionne la remise en question de l’Histoire
officielle. C’est donc bien une pression, un lobby politico-juridique.
D’ailleurs, si l’on observe bien ce mot « politico-juridique »,
on note que le politique et le juridique devrait être séparés plus largement
que par un simple trait d’union, suivez mon regard – vers Montesquieu. Tout
cela fait que l’objectivité de la transmission de l’Histoire est à géométrie
variable, en fonction de l’évolution de la société dans laquelle nous vivons.
Les
historiens ne retransmettent pas les divergences de point sur le déroulement
des évènements, de la part des acteurs de l’Histoire. Quand l’Histoire se
transmet, s’enseigne, s’apprend, on ne retransmet pas toujours les divergences
de point de vue aussi complexes que l’on peut retrouver dans notre histoire contemporaine.
On voit alors l’Histoire passée comme une image morte dénudée de tout enrobage
de polémique, de discutions et de divergences. Une image où tout le monde
voyait la même chose. Tout exemple est bon à prendre. Des émeutes en banlieue
éclatent fin-2005, la France se questionne quant à l’immigration ou aux
ghettos, quant à la violence ou à la fermeté, bref, chacun à une explication
différente. Des émeutes en banlieue éclatent mi-1789, la France voulait la tête
du Roi, point. Ce n’est pas la faute des historiens mais c’est dans la
complexité et la diversité que l’on est objectif. La simplification de
l’Histoire lui fait perdre son objectivité au cours de sa transmission.
Chaque
information ou événement de l’Histoire est, ne l’oublions pas, transmise
d’abbaye en abbaye, de cave en cave, de mains en mains, au fil des époques dans
la mesure où le stockage sur disque dur n’a pas toujours existé. Ce déplacement
temporel de l’Histoire que nous connaissons maintenant est inévitable. Mis à
part le travail sur vestige comme l’archéologie - qui ne se suffit pas à
elle-même - , les historiens sont forcés de se baser sur des témoignages
postérieurs à la période qu’ils souhaitent étudier. On étudie donc du moyen-âge
ce qu’étudiait à la Renaissance ceux qui avaient les moyens d’étudier. Même si
des techniques comme l’archéologie n’existaient pas, c’est par le dialogue avec
les anciens, par propagation, que le fil de l’Histoire ne s’est jamais rompu.
On est donc influencés, encore aujourd’hui par les écrits d’historiens ou par
les copies de moines de l’époque dont rien ni personne ne nous garantie
l’objectivité. Et la critique historique est parfois obsolète dans la
mesure où c’était parfois l’époque entière qui était plongée dans une
atmosphère spéciale, influençant les comportements et les interprétations d’un
ensemble de personne. Les témoignages sont consensuelles puisque influencés par
un climat global. D’où la difficulté de recouper des informations
peut-être erronées, ou au moins subjectives, que nous croyons peut-être encore
aujourd’hui pour vraies. On imagine alors que l’Histoire ne peut être transmise
objectivement, puisque c’est purement de la transmission de celle-ci dont nous
traitons.
Nous
pouvons être largement influencés par l’époque où nous vivons et donc être
incapables de transmettre à nos héritiers une Histoire factuelle et objective.
L’historien est trop sollicité par sa réalité spatio-temporelle. Exemple
hypothétique : si Hitler ou d’autres de ses petits amis, avaient été si
malin, ils auraient contaminé l’Europe de leurs idées d’« épuration
ethnique » et nous vivrions, pour les plus blonds d’entre nous, dans
une société totalement différente. La seconde guerre mondiale n’aurait alors
pas été une page noire de l’Histoire mais simplement un nouveau départ, même
une victoire. Et les centaines de places, avenues ou boulevards « Charles
de Gaulle », « de la République » ou « Victor-Hugo »
seraient alors rebaptisés par des noms que je vous laisse imaginer. Ce climat
général changerait l’objectivité, finalement esclave de l’Histoire.
De
même, la crédulité et le manque de culture a pu détourner l’Histoire à
une certaine époque. Peut-être Jésus n’était qu’un garçon très gentil et un peu
chanceux. Peut-être beaucoup ont repris à grande échelle des légendes le
mettant en scène ; en exploitant la crédulité du peuple de l’époque ou
simplement en satisfaisant leur propre crédulité. Peut-être était il simplement
considéré de son vivant comme un jeune homme brave, mort en martyre et porté
aux cieux pour des légendes construites a posteriori. Ainsi, en partant de la
crédulité et de sa propagation, la subjectivité de la transmission de
l’Histoire aura bien trompé sur son passage, au fil du temps et des guerres.
Finalement,
la propagation de l’Histoire, ne passe que par une succession
d’individus : les témoignages d’abord, mais les vestiges sont à
l’initiative d’individus. Si l’Histoire est lointaine, les documents risquent
d’être de plus en plus interpolés et difficilement retirables de leur
contexte : l’objectivité semble donc difficilement imaginable. Si
l’Histoire est trop proche, comme l’on sait que le XXe siècle a été trop
historique pour être historien, l’influence du monde autour est directe et
l’appropriation politique de la transmission de l’Histoire également. L’historien
contemporain se transforme alors en sociologue et se rend vulnérable à un catalogage
vers telle ou telle appartenance idéologique, plus rien d’objectif puisqu’il se
retrouve noyé dans la société et ses maux. Sans croire que l’objectivité
n’existe pas, force est de constater qu’elle n’est pas garantie dans la
transmission de l’Histoire, qu’elle soit proche ou lointaine, malgré toute la
bonne volonté des historiens.