La paresse intellectuelle
Voilà ce qu’on voulait un monde "sans prise de tête". La réflexion, ça fatigue, le questionnement, ça complique et le doute ça fait douter.
Je crois que cela a commencé avec Bernard Pivot.
Dans les années 80, un virage fut pris. On avait le droit de
revendiquer la distraction, la détente et le laisser-aller. C’était même bien
vu, dans l’air du temps. Et les gens sérieux avec des ambitions plus élevées
n’étaient plus que des snobinards prétentieux.
Le présentateur d’Apostrophes avouait ses passions
footballistiques et culinaires. Alors naquit l’Intellectuel Franchouillard
Décomplexé.
Il fallait tuer l’élitisme, moquer l’exigeant, l’ambitieux
en matière d'évolution, de savoir. Car tout devenait culture, surtout la populaire. Tout le
monde était artiste, surtout dans les banlieues pourries.
Le vent tournait et il fallait suivre. Le héros devait faire
peuple. Faire peuple, c'était être héros. Le rock et le smurf côtoyaient la
littérature.
Désormais, il n’y aurait plus de hiérarchies. Un monde juste se devait d’être horizontal, couché. Le parti, et le pli ensuite, étaient pris. On nivèlera par le bas, le bas l'a décidé. Plus d’étoile à l’horizon, plus d’horizon en ligne de mire. L’immobilisme, champion du monde.
Comment faire autrement ? Plus de bien et de mal, plus de valeurs communes ; tout sera goûts et
couleurs, choix
personnel et tant pis pour le voisin.
Les imbéciles commencèrent à écrire des livres et on inventa Arte pour
ghettoïser les idéalistes.
Quelque résistance exista. Mais, les adducteurs finirent par
devenir douloureux à force de grand écart et chacun rentra dans le rang, chacun choisit son camp.
On finira par regarder Dallas en prétextant qu’on fait de la
sociologie et on s’esclaffera devant Muriel Robin.
La politesse ? Ringarde. La provocation ? Art. Les intellectuels ? Suffisants. Les footballeurs ? Au Panthéon. Les poètes ? Maudits. Les rappeurs ? Dans la Pléiade. Les scientifiques ? Rabat-joies. Les requins ? Artistes.
Paresse intellectuelle, quand tu nous tiens.
A vouloir démocratiser, on a médiocrisé. Et pourtant, il y
avait tant à faire. Pour tous.
J’oubliais. S’il reste quelque pisse-froid, trouble-fête, rabat-joie pour ne pas commémorer comme il se doit, l'anniversaire de la mort du "Grandissime Claude François", je propose qu’on lui fasse un sort. Ces gens-là sont décidément encombrants, à toujours nous empêcher de vivre "sans se prendre la tête".