LA photo que je n'ai pas prise
André et Suzanne
C'était la semaine dernière. Une promenade à vélo sur la Promenade des Anglais, m'emmène tranquillement, jusqu'à l'aéroport.
Arrivé au port de Carras, je découvre, stationnée sur le bord de la route une remorque transportant une rame du futur et attendu tramway.
Sur le trottoir à flanc de rame, un couple : environ un siècle chacun, les corps tordus comme de vieilles racines, bras dessus, bras dessous, ils ont du naitre ainsi, accrochés.
Courbés, cassés, frêles, résistants, secs.
Leurs vêtements se confondent. Qui porte quoi ? Impossible de faire la différence.
Plusieurs couches de tissus, de fichus, de couvertures peut-être, jetées sur les épaules.
Un arc-en-ciel mat : jaune, orange, bleu, vert, écossais.
Lui, ressemble, à cette photo d'André Gide, coiffé d'un bonnet, courbé, ramassé, lunettes sur le bout du nez, plaid sur les épaules. La photo était noir et blanc, mon Gide à moi est tout en couleurs.
Elle, une Suzanne Flon de ses derniers films, décharnée, forte, et humble.
André et Suzanne sont vieux et gais, mats et vifs, curieux, mobiles et vivants devant ce tramway neuf et triste, brillant, bronze et gris, inerte et passif.
Ma photo était là. Ce contraste, c'était de l'émotion pure, mais, aucune boite pour la ranger. J'avais le cadrage, l'instant, la lumière... mais pas d'appareil.
D'une pression de l'index sur le guidon du vélo, j'envoyai le cliché s'imprimer dans ma mémoire. Dans cette carte-là, les mégabytes sont sans limite.
...
J'ai fait mon retour de Prom', sur un nuage.