La femme du boulanger
La voiture arrêtée sur le bas-côté, à cheval sur l’herbe
semble avoir stoppé en urgence. La
portière droite est ouverte et la main gauche d’un jeune homme la
retient de l'intérieur.
Le jeune homme, c’est Pierre. Il est couché sur la banquette et vomit comme jamais il ne l’a
fait. Petit déjeuner, déjeuner et quatre-heures, tout y passe.
Au son du carillon déclenché par le rayon lumineux, la boulangère
a levé les yeux sur le jeune homme. Des yeux qui savent parler aux hommes,
assurément. Grands, noirs, étincelants, évocateurs, brûlants. "Un regard de baise", pense Pierre, juste pour
se faire un bon mot.
Présentations faites, Madame invite l’assureur à la suivre dans
l’arrière-boutique. La petite vendeuse la remplacera.
Le mari nettoie les gamelles dans la cour et la paperasse,
c’est pas son truc. Si affaire il y a à faire, ce sera avec Madame.
Tout est bien organisé. La petite à la boutique, le mari aux
gamelles. Pierre et la Pomponnette dans l’arrière-boutique à discuter tout en
surveillant le bébé de huit mois
environ, allongé dans un transat posé au sol. C’est
une petite Aurore aux grands yeux bleus.
De sa place, Pierre qui est debout voit dans la cour le
boulanger nettoyer de grandes casseroles au jet d’eau. Il ne recevra pas de
réponse à son mouvement de tête. La
pièce est une sorte de véranda, grande baie vitrée vers l’extérieur sur un petit muret d’un mètre environ.
Les objectifs professionnels du mois et son récent célibat permettent à notre
commercial d’accueillir le charme de la
boulangère avec une disponibilité non coupable.
Mais, la situation est cocasse et la phase de séduction
prend rapidement une autre tournure.
Aurore lâche sa tétine et se met à pleurer. La jeune femme
s’accroupit pour la lui remettre en bouche. Elle la met d’abord dans la sienne
pour la nettoyer avec un geste des plus suggestifs.
Puis, sans se relever, passe sa langue sur ses lèvres en même
temps qu'elle remonte sa robe avec la main, comme si la robe en avait besoin ; cuisses et culotte étaient déjà largement offertes au regard de l'assureur.
Elle sait marcher en canard et trois mouvements lui suffisent
pour atteindre les jambes de Pierre.
Celui-ci se fige. Regard vers la droite, le boulanger et son jet
d’eau. Regard vers la gauche, le bébé et ses yeux bleus. Regard vers le bas, la Pomponnette
qui, à cet instant, n’a jamais aussi
bien porté son nom.
Que faire ? Le mieux est de ne rien faire, d’attendre.
L’agent d’assurances est agent double. Sous sa ceinture tout est mécanique et
la mécanique fonctionne très bien, la
mécanicienne est experte. Au-dessus, tout est tension. Dans sa tête, tout se
bouscule. Le danger ne l’empêche pas de penser à Alphonse Boudard qui racontait
ses frasques de représentant de commerce et de la bouchère qui l’avait vidé
de toute son énergie sur un étal sanguinolent.
Le plaisir et le calvaire s’arrêteront en même temps.
La cravate est toujours en place. La chemise a accumulé un peu de
transpiration.
La nymphomane remonte sur ses pattes tirant un peu sur la
robe. Elle sourit, savourant la levure de Pierre. Son assurance semble dire
qu’il ne s’est rien passé. Celle de Pierre ne sera pas placée.
L’enfant a-t-elle ancré en elle sa future condition, femme de boulanger ?