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Claudiogène
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15 janvier 2008

La camerata (la chambrée)

"La camerata", c'est ce lieu obscur, de jour comme de nuit, tout en haut d'un escalier raide et délabré. Ce n'est pas si loin de la maison, une cinquantaine de mètres ; cinquante mètres de Méditerranée.

Cette chambrée abrite, entasse même, des dizaines d'ouvriers Algériens, Tunisiens, Marocains. Tous des hommes. Les Polonais sont plus loin. Les Italiens et les Espagnols en famille. Les Portugais au Portugal.

Billancourt a de la main d'œuvre à disposition et tout est parfaitement réglé. Les cars Renault ramassent à domicile. Quelques Elise s'amourachent et les mandats nourrissent le bled.

Je suis encore un tout petit garçon et ma mère m'envoie souvent grimper cet escalier lugubre pour "livrer" un jour des chemises rapiécées, le lendemain, des pantalons raccourcis, une autre fois des chaussettes raccommodées à l'aide de l'œuf en bois ramené du pays.

Un soir, c'est différent.
Le tissu est plié et forme un carré. Je dois faire plus attention que d'habitude. Je monte. J'ai peur. L'odeur de la "camerata" me fait bien plus peur que la nuit, bien plus peur que ces voix incompréhensibles. Cette puanteur, mélange de tout, de sale, de cuisine, d'urine me fait suffoquer.
J'ai un prénom à demander. Je me le répète sans arrêt, il est difficile. J'ai un prix à retenir pour me faire payer.
Je trouve le prénom, lui lâche le paquet dans les mains et dévale l'escalier pour aller respirer à l'air libre.

Ma mère se fera payer, ou pas, son ouvrage plus tard. C'est sans importance. Tout est confiance et entraide, solidarité et camaraderie dans cette tour de Babel horizontale, cour des Miracles en longueur.
Son ouvrage ? Mais qu'est-ce donc ?
C'est un drapeau du FLN.

Ma mère confectionne des drapeaux pour le FLN.

Le minuscule poste de radio familial ne diffuse que le Tour de France et ses illustres coureurs,  Charly Gaul et Charles de Gaulle, le Festival de la chanson de San Remo et quelquefois un chanteur excité au nom américain (qui sévit encore parait-il)
Cette radio-là ne sait rien de l'actualité politique, rien du monde qui bouge, rien des conflits et des "évènements".

Ma mère confectionne les drapeaux que nos voisins Algériens brandiront dans un défilé pacifique à Paris. Ils ne savent pas encore que certains d'entre eux, de cette chambrée ou d'une autre, ne rentreront pas.

La Seine aura fait des siennes... sur ordre.

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Commentaires
T
Il est très beau ce texte, simple et émouvant. Merci.
L
Merci, Claudio de ta proposition. Cest beaucoup plus qu'une Note qu'il me faudrait écrire et une certaine humilité me pousse pour le moment à ne déposer que quelques fragments. Nous avons un exemple dans notre famille qui nous pousse à avoir beaucoup de prudence dès lors que nous évoquons d'autres vie que la nôtre.<br /> <br /> Bon jeudi à vous, j'ai vu que vous faisiez "la Une" sur d'autres sites...
A
bonjour !<br /> Vous avez l'art de trouver des jolis titres et des contenus intéressants !<br /> cordialement<br /> alainbarre
M
N'oublie pas de me le réclamer :<br /> je l'ai beaucoup aimé celui-là<br /> je me ferai un plaisir de te prêter
C
un lien pour comprendre l"A propos" de mcbarbara :<br /> http://www.babelmed.net/Pais/Alg%C3%A9rie/ites_yeux.php?c=2497&m=36&l=fr
Claudiogène
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Claudiogène
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